mardi 28 novembre 2017

De la citation et du dialogue dans les films



Le célèbre plan final de La Prisonnière du désert de Ford

Les réalisateurs de films sont toujours des passionnés de cinéma (et beaucoup, en outre, ont fait des études de cinéma). Dès lors, ils ont tous été et sont encore influencés par des films qu’ils ont pu voir, qui les ont marqués ou passionnés. On comprend donc qu’il n’y a pas de films « purs », c’est-à-dire que tous les films portent en eux une influence venant d’autres films. Cette influence est plus ou moins nette et plus ou moins marquée volontairement par le réalisateur.
Bien entendu un film ne laissera pas forcément transparaître toutes les influences ou toutes les préférences d’un réalisateur. On sait que Tobe Hooper, très cinéphile, adore Chantons sous la pluie, mais on serait bien en peine d’en trouver la trace dans Massacre à la tronçonneuse !

Le cas des remakes est particulier en ce sens que, plus qu’une influence, il s’agit d’une reprise, parfois presque plan par plan (par exemple Psycho de Van Sant). Le plus souvent le film s’éloigne de l’original et propose une transposition qui prend plus ou moins de liberté avec l’original (on pense à Obsession de De Palma, qui est une reprise de Vertigo ou Hardcore de Schrader qui revisite, en le transposant aux années 70, La Prisonnière du désert). Parfois le film ne garde de l’original qu’un thème central, comme le fait Santa Sangre de Jodorowsky à partir, là aussi, de Psychose.

Mais, mis à part le cas des remakes, les liens entre films peuvent se manifester de différentes façons. On peut donc voir dans un film :

- des citations directes d’un autre film : dans Gremlins de Joe Dante, les personnages regardent La Vie est belle à la télé ; dans L’Armée des 12 singes, le héros va voir Vertigo au cinéma ; dans Prima della rivoluzione, de Bertolucci, Fabrizio conseille à Agostino d'aller voir La Rivière Rouge, dans Yoyo de Etaix, on peut voir des affiches de La Strada, etc.


La Vie est belle, vu à la télé dans Gremlins

- la reprise d’une scène, d’une réplique, d’une position de caméra, d’un thème bien précis, d’un décor, d’un lieu, d’un vêtement, etc. : le pantalon jaune rayé de noir que porte Uma Thurman dans Kill Bill est le même que celui de Bruce Lee porté dans Opération dragon ; le R2D2 de Star Wars vient tout droit de Silent Running ; la fumerie d’opium dans laquelle se réfugie Noodles dans Il était une fois en Amérique évoque celle où finit Miss Miller dans John McCabe ; la séquence qui lance Tout sur ma mère est une reprise de celle d'Opening Night, etc.

L’influence peut parfois être évidemment plus profonde que ces quelques éléments qui viennent agrémenter un film.

- Il peut s’agir d’une reprise du style d’un réalisateur : la stylisation parfois extrême de Tarantino doit beaucoup à celle de Sergio Leone ; la mise en scène tarte à la crème des scènes d’action contemporaines (éclaboussure de sang, ralentis) doit tout à Sam Peckinpah.


La Horde sauvage de Peckinpah
- L’influence de certains films est incontournable, selon le genre ou les scènes tournées. La thématique de La Prisonnière du désert (disparition/quête/retour du personnage recherché qui n’est plus le même) a une influence considérable sur le cinéma américain. Il est aujourd’hui difficile pour un western de mettre en scène des personnages qui attendent le train sans penser immédiatement au Train sifflera trois fois ou à Il était une fois dans l’Ouest ; difficile aussi pour un tueur de mettre son chapeau et d’enfiler ses gants sans évoquer Le Samouraï de Melville, etc. Il en est de même pour les acteurs : par exemple James Cagney est très présent dans le jeu de Joe Pesci dans Casino ou Les Affranchis, etc.

- Certains films ou certains courants du cinéma ont eu une influence considérable qu’il est de fait difficile d’éviter. Sans remonter jusqu’à Griffith qui a commencé à installer les règles de narration et de montage, on peut citer l’influence du cinéma expressionniste allemand sur le cinéma américain (à tel point qu’il y a eu beaucoup plus de films américains expressionnistes que de films allemands) ou encore celle de la Nouvelle vague sur le Nouvel Hollywood (Alain Resnais par exemple).


Un plan expressionniste dans La Nuit du chasseur de Laughton
Mais le lien le plus riche a lieu lorsqu’un film dialogue avec un autre. C’est-à-dire qu’il en reprend le questionnement et qu’il l’enrichit de ses propres réponses.

- Quand Montgomery Clift, coincé sur sa barque au milieu du lac dans Une place au soleil hésite à frapper et noyer sa femme, on pense évidemment à L’Aurore de Murnau. Mais, bien plus que la simple reprise de la scène, c’est la même hésitation terrible qui l’assaille, la même énormité de ce qu’il va commettre qui déferle sur lui. C’est, dès lors, la même impossibilité pour lui de commettre l’acte.


Aurore de Murnau

La même séquence, reprise dans Une place au soleil

- Dans Voyage au bout de l’enfer, Cimino reprend des thèmes chers à John Ford : il réfléchit à la communauté, à ce qui la soude, à ce qui la brise. Le film reprend des motifs de Qu’elle était verte ma vallée et s’il cite le film clairement (l’aciérie du début doit beaucoup à la vallée industrielle de Ford ; il reprend un jeu précis lors d’une scène de fête) ce sont les thèmes du film eux-mêmes qui sont re-traités par Cimino.

- Dans American sniper, Eastwood reprend un autre thème fordien : celui du traitement du héros, qui est dans la réalité toujours loin de ce qu’en rapporte la légende. Il reprend donc les développements de Ford de L’Homme qui tua Liberty Valence et donne son avis sur ce thème.

C’est évidemment dans ce dernier cas que le cinéma est fascinant : quand il est le jeu d’un dialogue d’un film à l’autre où des positions sont exprimées. Bien entendu, au-delà des opinions, c’est leur expression qui est fascinante : comment Ford exprime le mensonge qui se cache derrière la légende, quelles images choisit Eastwood en fin de film.

La Prisonnière du désert citée par Eastwood
dans American sniper

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire