jeudi 9 novembre 2017

Le Plongeon (The Swimmer de F. Perry, 1968)




Extraordinaire film de Frank Perry, très surprenant, qui s’appuie sur une idée à la fois iconoclaste et curieuse (un homme choisit de rentrer chez lui en passant successivement par les différentes piscines de ses voisins). Et ce qui semblait une idée un peu originale mais qui ne va pas bien loin entraîne, au contraire, Ned Merrill dans une plongée dans son passé ou peut-être est-ce dans son avenir. C’est qu’on ne sait pas, en fait, si Ned descend ou remonte le temps, s’il croit encore à un temps passé aujourd’hui révolu ou si l’on a une image de ce que sera, plus tard, sa vie.


Le film prend à bras le corps l’image de l’Amérique aisée et qui réussit, qui savoure des cocktails autour de la piscine, Amérique peinte par David Hockney.

A bigger Splash de D. Hockney, 1967
Ned Merrill, débarquant d’on ne sait où en maillot de bain (maillot de bain que ne quittera pas Burt Lancaster de tout le film), semble appartenir à cette classe facile sans pour autant la cautionner totalement. Et, au fur et à mesure de sa progression, il prendra de plus en plus de coups, images de son refus de croire à la réalité, de son passé peut-être, ou de ce qui est encore et ne sera bientôt plus. Autant de désillusions qui assaillent Ned tandis qu’il reste arc-bouté sur ses croyances, continuant de croire en sa femme qui l’attend, là-bas, avec ses filles qui jouent au tennis. Et l’on comprend peu à peu que Ned, sans doute, a appartenu à ce monde de parvenus qu’il semble fuir, et qui transparaît au travers de son ancienne maîtresse, de ses anciennes fêtes, et des petits commerçants qu’il dédaignait et qu’il croise lors de sa visite humiliante à la piscine municipale. Les piscines (dans lesquelles, sauf à la fin, il est seul à nager) sont alors pour lui un moyen d’échapper à la réalité : tant qu’il est dans l’eau il est conforté dans son monde d’illusions, celui où croire suffit à faire exister (comme il l’explique au jeune garçon qu’il croise). Mais, finalement, la réalité le rattrape : l'autoroute qu'il lui faut traverser (et qui évoque une séquence similaire de Seuls sont les indomptés de David Miller) puis la séquence de la piscine municipale – où il ne peut même plus nager tant il y a de monde – achèvent de nous convaincre que Ned n’est pas celui qu’il semblait être, il n’est qu’une coquille vide. La séquence finale sous l’orage, à la fois achève le parcours et reste ouverte à mille interprétations.



De par les thèmes (le matérialisme des voisins, l’importance qu’ils donnent à des sujets superficiels) et de par le jeu autour des piscines elles-mêmes, le film renvoie au Lauréat de Mike Nichols, généralement considéré comme le point de départ du Nouvel Hollywood. Le Plongeon, s’il est sorti un an plus tard, a pourtant été tourné avant et fait sans doute, mieux encore que le film de Nichols, le pont entre l’ancien et le nouveau cinéma américain. C’est que Perry, plutôt que de se tourner vers un jeune acteur (comme le fait Nichols avec Dustin Hoffman), s’appuie sur une star immense de ce cinéma qui disparaît. Burt Lancaster est alors en tout point l’acteur idéal : très grande star aux muscles saillants et au sourire éclatant, il représente cette réussite hollywoodienne qui fait rêver et sa plastique parfaite en fait un parangon de la réussite de cette Amérique des années 60. Mais, progressivement, son corps musclé (Perry va jusqu’à la métaphore de l'étalon) se recroqueville, se fait douloureux et devient fébrile. Ce grand corps rutilant qui peu à peu  boite et s'avachit illustre parfaitement le pont entre l’âge d’or du cinéma hollywoodien qui entre en crise, au cours des années 60, et l’enfant terrible qui va naître, le Nouvel Hollywood. Cette période charnière est parfaitement sentie ici par Frank Perry, qui montre à la fois l’Amérique superficielle derrière l’apparat des piscines et le cinéma critique et sans concession qui arrive.



Au-delà de la critique d’une Amérique, le film a aussi une perspective métaphysique incontestable. En effet, après un générique qui évoque la Nature vierge et pure, le surgissement de Ned dans le cadre, au début du film, sans que l’on puisse identifier d’où il vient ni depuis combien de temps il est parti, fait appel à un état de Nature auquel répondra, après un parcours de plus en plus éprouvant, ce recroquevillement contre la porte d’entrée de la maison abandonnée, comme une perte de cette virginité initiale en une prise de conscience violente des illusions disparues.

Et le film, privilège rare des plus grands chefs d'oeuvre, en plus d’inciter à de nombreuses interprétations, distille une poésie, due au personnage de Ned lui-même, à l’image et à la musique. Ce film méconnu (mais qui était le rôle préféré de Lancaster lui-même, qui a pourtant joué dans tant de chefs d’œuvre) est un moment cinématographique fascinant.


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