lundi 10 mars 2014

Fenêtre sur cour (Rear Window de A. Hitchcock, 1954)




Extraordinaire chef-d’œuvre de Hitchcock (encore un !), qui explore (encore et toujours) de nouvelles voies pour surprendre le spectateur. Ici il décide rien moins que d’immobiliser son héros, Jeffries, en le clouant dans un fauteuil roulant et en le condamnant à simplement regarder par la fenêtre pour tromper son ennui et, accessoirement, zoomer comme il peut avec le téléobjectif de son appareil photo pour entrer au plus près de l’intimité des gens.
James Stewart est parfait, comme toujours, et Grace Kelly, héroïne hitchcockienne  parfaite, vient suppléer le héros pour agir à sa place.
C’est que le héros aimerait bien agir : depuis sa fenêtre il observe, scrute, réagit et cogite. Mais il est cloué dans son fauteuil comme le spectateur de cinéma dans la salle. Lui aussi observe, scrute, réagit et cogite, mais, lui non plus, ne peut agir. Alors, Grace Kelly agit pour nous : c’est elle qui se glisse dans l’appartement d’en face, qui prend tous les risques, qui improvise, qui est confrontée au voisin patibulaire.
Pour Deleuze, on tient là un film marquant le basculement d’un type de cinéma à un autre. En effet, avec ce héros cloué et incapable d’agir, Hitchcock, en plus d’une métaphore du spectateur dans son fauteuil, annonce le cinéma moderne où les liens sensori-moteurs seront dépassés progressivement : exit les héros actifs, qui agissent en fonction des situations auxquelles ils sont confrontés, exit ces films déterminés qui savent où ils vont. Viennent progressivement des films avec des personnages bien peu motivés, ou dont les actions ne sont pas claires, qui tournent en rond, qui sont incapables de se décider ou d’agir.


On trouve mille clins d’œil à Fenêtre sur cour dans bien des films (quand ce ne sont pas des séquences entières, comme dans Body double de B. De Palma, qui ne se lasse pas de re-filmer, à sa sauce, tantôt des séquences, tantôt des films entiers du maître). On notera avec amusement que Avatar reprend la même situation de départ, avec un héros handicapé et qui utilise un avatar (là où James Stewart utilisait Grace Kelly) pour retrouver ses jambes et agir directement. Le film de J. Cameron lorgne du côté des jeux vidéo où l’action explose en tous sens, là où le film d’Hitchcock s’amuse avec son héros (et le spectateur) en laissant la part belle aux déductions et aux doutes. Le peu qu’entrevoit Jeffries lui permet d’imaginer quelque chose, et c’est à partir de là que tel ou tel doute s’immisce, dans son esprit comme dans celui du spectateur et qu’il brûle d’aller voir d’un peu plus près. Même si, pas plus que le spectateur, il ne peut se lever et véritablement entrer dans l’action. Pauvre Jeffries, pauvres spectateurs, bien incapables d’agir et condamnés à rester assis !

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