vendredi 23 mars 2018

Faut-il revoir des films déjà vus ?



Daïnah la métisse (J. Grémillon)










S’il y a des films pour lesquels, incontestablement, on regrette d’avoir perdu du temps à les regarder (sauf à pouvoir dire « je sais ce qu’il en est »), on peut imaginer se poser la question, pour certains autres films, de savoir s’il faut les revoir (1). Après tout.
Interrogation purement rhétorique évidemment : revoir un film nous semble – pour qui sait voir –, bien plus qu’une « possibilité », c’est une autre manière de le voir.

Comme le dit si bien François Truffaut à propos de La Règle du jeu (mais on peut étendre son commentaire à mille autres films) : « On croit voir Renoir organiser tout cela en même temps que le film se projette, pour un peu on se dirait : « tiens, je vais revenir demain pour voir si les choses se passent de la même façon » ». Voir et revoir un film, c’est constater non pas tant qu’un film est différent à chaque vision, mais qu’il est multiple.
Le contre-champ – si l’on veut – de l’idée de Truffaut est que le spectateur aussi est différent. Dans L’Armée des douze singes de T. Gilliam, James Cole, au cinéma devant Vertigo explique : « Le film est toujours le même, il ne change pas, mais à chaque vision il semble différent parce qu'on est différent, on le voit différemment ».


Vertigo (A. Hitchcock)

Alors, sans même évoquer les films poétiques ou oniriques dont l’humeur est, par définition, insaisissable (Vampyr, Daïnah la métisse), ou les films à l’interprétation inépuisable (Le Plongeon), revoir et revoir encore Les Tueurs, La Mort aux trousses, Le Cercle rouge, Dersou Ouzala ou Le Parrain II, bien loin d’épuiser le film, le rend au contraire de plus en plus fascinant, à mesure qu’on s’en imprègne. C’est qu’une intimité se crée avec un film, intimité qui peut venir, par une alchimie étrange, dès la première vision, intimité qui peut venir petit à petit, à mesure qu’on le côtoie.

Revoir un film, alors, correspond, sans doute, à rester longuement devant un tableau (ou dans un environnement peint : rester toute une heure dans La Chambre des époux), à réécouter une symphonie ou un opéra, à relire un livre ou, tout du moins, un chapitre ou un paragraphe (« Deux jets de plomb fondu tombaient du haut de l’édifice au plus épais de la cohue » (2)), cela correspond, peut-être, aussi, à éprouver longuement, une fois encore, un paysage familier.

Le Cercle rouge (J.- P. Melville)



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(1) : On mettra également de côté les films que certains aficionados regardent en boucle, non pas pour chercher sans cesse une profondeur supplémentaire mais pour retrouver le film comme un enfant demande à ce qu’on lui relise la même histoire le soir avant de dormir : ils cherchent à retrouver un univers pour se rassurer en s’y lovant et en s’y calfeutrant. On sait que des séries, télévisuelles autant que filmiques (ou même la saga de La Guerre des étoiles par exemple), peuvent jouer ce rôle.

(2) : « Pendant ce temps-là, les pierres ne tombant plus, les truands avaient cessé de regarder en l'air. Les bandits, haletant comme une meute qui force le sanglier dans sa bauge, se pressaient en tumulte autour de la grande porte, toute déformée par le bélier, mais debout encore. Ils attendaient avec un frémissement le grand coup, le coup qui allait l'éventrer. C'était à qui se tiendrait le plus près pour pouvoir s'élancer des premiers, quand elle s'ouvrirait, dans cette opulente cathédrale, vaste réservoir où étaient venues s'amonceler les richesses de trois siècles. Ils se rappelaient les uns aux autres, avec des rugissements de joie et d'appétit, les belles croix d'argent, les belles chapes de brocart, les belles tombes de vermeil, les grandes magnificences du chœur, les fêtes éblouissantes, les Noëls étincelantes de flambeaux, les Pâques éclatantes de soleil, toutes ces solennités splendides où châsses, chandeliers, ciboires, tabernacles, reliquaires, bosselaient les autels d'une croûte d'or et de diamants. Certes, en ce beau moment, cagoux et malingreux, archisuppôts et rifodés, songeaient beaucoup moins à la délivrance de l'égyptienne qu'au pillage de Notre-Dame. Nous croirions même volontiers que pour bon nombre d'entre eux la Esmeralda n'était qu'un prétexte, si des voleurs avaient besoin de prétextes.
Tout à coup, au moment où ils se groupaient pour un dernier effort autour du bélier, chacun retenant son haleine et roidissant ses muscles afin de donner toute sa force au coup décisif, un hurlement, plus épouvantable encore que celui qui avait éclaté et expiré sous le madrier, s'éleva au milieu d'eux. Ceux qui ne criaient pas, ceux qui vivaient encore, regardèrent. - Deux jets de plomb fondu tombaient du haut de l'édifice au plus épais de la cohue. Cette mer d'hommes venait de s'affaisser sous le métal bouillant qui avait fait, aux deux points où il tombait, deux trous noirs et fumants dans la foule, comme ferait de l'eau chaude dans la neige. On y voyait remuer des mourants à demi calcinés et mugissant de douleur. Autour de ces deux jets principaux, il y avait des gouttes de cette pluie horrible qui s'éparpillaient sur les assaillants et entraient dans les crânes comme des vrilles de flamme. C'était un feu pesant qui criblait ces misérables de mille grêlons.

La clameur fut déchirante. Ils s'enfuirent pêle-mêle, jetant le madrier sur les cadavres, les plus hardis comme les plus timides, et le Parvis fut vide une seconde fois. »

(V. Hugo, Notre-Dame de Paris)

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