samedi 17 mars 2018

Docteur Mabuse le joueur (Doktor Mabuse, der Spieler de F. Lang, 1922)





Premier grand chef d’œuvre de Fritz Lang, Docteur Mabuse parvient à tenir en haleine tout au long des 4 heures 30 de film, tout en promenant le spectateur des bas-fonds de Berlin à ses soirées aristocratiques, en passant par les casinos clandestins aussi bien que les prisons.
Formellement le film de Lang est d’une variété exceptionnelle : il parvient à construire une esthétique qui passe d’un réalisme cru (avec des rues sordides, telles qu’on en retrouvera chez Pabst) à une esthétique plus expressionniste (mais de façon mesurée et uniquement ponctuelle, au travers de quelques décors ou de quelques éclairages, alors que le cinéma allemand est très influencé par le caligarisme de Wiene), mais il innove aussi (l’influence des arts primitifs chez le comte Told) et joue des lumières d’une façon déjà très personnelle, particularité que l’on retrouvera jusque dans sa période américaine (dans J’ai le droit de vivre par exemple). Alternant des plans larges fixes, qui permettent aux personnages de se jauger tant et plus, avec des plans rapprochés ou même des gros plans qui permettent de fixer tel ou tel détail mais aussi d’entrer plus avant dans la psychologie des personnages, Lang parvient à équilibrer complètement son récit et à tenir en haleine : le rythme ne faiblit jamais malgré la durée. Et les trucages en surimpression viennent parfaitement aliéner les personnages, face au pouvoir manipulateur de Mabuse qui s’empare de leur volonté.
Il faut dire aussi que le récit – inspiré du roman-feuilleton (évoqué au travers du découpage en actes) – se prête à une multitude d’actions et de rebondissements, puisque le polymorphe Mabuse manipule à tout va, et développe sans cesse de nouveaux plans machiavéliques.
Le personnage de Mabuse (parfaitement interprété par Rudolf Klein-Rogge, expressif mais sans outrance) apparaît comme un monstre qui impose sa volonté à ses victimes. Fort de son formidable pouvoir (que Lang se garde bien d’expliquer), il joue comme ses victimes, mais non pas à des jeux d’argent, mais, comme il le dit lui-même, avec les hommes et les destins. Plusieurs séquences où il impose sa volonté à celui qui lui fait face sont extraordinaires, comme l’arnaque contre Hull, celle contre von Wenck lui-même,  ou le coup de force de la représentation théâtrale. Lang joue parfaitement de trucages efficaces ou de fermetures à l’iris pour isoler ces yeux qui vrillent l’esprit de la pauvre victime. La manière dont Lang montre le comte Told avec Mabuse un peu plus loin qui le fixe par derrière est fascinante.


Il faut remarquer que les victimes de Mabuse sont toutes (sauf von Wenck qui cherche à le coincer) issues d’une société montrée comme décadente : elles sont dépendantes du jeu ou s’ennuient, se consacrant à des passe-temps décrits comme futiles. Le regard de Lang sur le Berlin des années 20 est très dur sur ce point. Et si Mabuse impose sa volonté si facilement c’est aussi, sans doute, parce que ces représentants de l’aristocratie ou de la haute bourgeoisie sont des esprits faibles et avilis d’une façon ou d’une autre. La puissance de Mabuse est alors fondée sur la faiblesse de ses victimes et sur leur consentement plus ou moins conscient. Mabuse, offre alors pléthore de métaphores pour tenter de comprendre l’état de cette société qui a pu engendrer un pareil monstre.


Lang continuera d’ailleurs son analyse en reprenant le personnage de Mabuse, notamment dans Le Testament du docteur Mabuse : la métaphore politique se fait alors encore plus nette.

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