jeudi 1 février 2018

L'Invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers de P. Kaufman, 1978)




Excellent remake du film de Don Siegel (1) qui égale presque son illustre modèle. Kaufman modifie plusieurs éléments du scénario d’origine qui sont autant de variations très riches. Il déplace d’abord l’action d’une petite ville vers une grande. Là où le film de Don Siegel se déroulait dans la petite ville de Santa Mira où tout le monde se connaissait (ville qui rappelait le monde de Capra) et où la bizarrerie était dans la froideur nouvelle des habitants, ici l’intrigue est située à San Francisco où il est normal de ne pas connaître les gens que l’on croise dans la rue. Il y a donc un doute permanent qui s’installe, à chaque personne croisée. Kaufman joue en permanence avec cet aspect, en multipliant les fausses pistes, les regards de biais, les comportements à la limite de l’étrangeté qui font naître un climat angoissant au possible. Plusieurs visions du film montrent d'ailleurs que l'invasion est commencée depuis longtemps quand le film démarre, sans que les protagonistes (ni les spectateurs) ne s'en doutent pour le moment.



Kaufman, ensuite, avec beaucoup de réussite, construit une intrigue organisée autour de deux couples d’amis, et c’est la destruction progressive de leur relation – au fur et à mesure des remplacements des uns et des autres – qui rend l’avancée du film progressivement touchante et la progression de l’invasion particulièrement effrayante. Que les anonymes croisés dans la rue soient vus comme particulièrement froids et superficiels c’est une chose, mais que des amis proches puissent devenir froids comme le marbre en est une autre. Si la vision de Geoffrey avec son casque sur les oreilles devant la télé rend difficilement perceptible son remplacement, la disparition de tout affect est une belle expression d’un monde terrifiant.



Kaufman insiste également sur les cosses elles-mêmes : on en sait plus, non seulement sur l’origine de ces formes extra-terrestres, mais aussi sur leur organisation, destinée à conquérir peu à peu la planète. Chez Don Siegel la chose était circonscrite à une petite ville qui était envahie. Ici c’est tout San Francisco qui passe sous la coupe des envahisseurs et, même, l’embarquement de cosses dans le port de la ville (ainsi que la séquence finale) montre que c’est l’humanité elle-même qui est directement menacée.
Formellement très inventif, Kaufman multiplie les plans étranges, les angles de caméra outrés, les déformations, les idées (le pare-brise fissuré, les glaces déformantes), les plans séquences avec la caméra à l’épaule, etc. La réalisation confère une étrangeté supplémentaire très réussie (on pense, par moment, à la bizarrerie du Frankenheimer de Seconds).

On notera l'excellente idée de réutiliser Kevin McCarthy, l'acteur héros du film de Don Siegel. Il intervient dans une séquence courte mais terrifiante qui produit une résonance géniale avec le film de 1956 : on avait laissé Miles Bennell en train d'hurler pour tenter de stopper les automobilistes en les prévenant de l'invasion (il faut pour cela faire abstraction du montage en flash-back imposé par les producteurs à Don Siegel) et on le retrouve, vingt-deux ans plus tard, dans la même situation.


Kevin McCarthy tentant de prévenir les automobilistes en 1956
Dans une ellipse fascinante, on peut imaginer que le même personnage, vingt ans, plus tard, est toujours à courir pour échapper aux extra-terrestres. D'autant plus que, sur son autoroute, il venait de croiser un camion, indiquant qu'il allait à San Francisco, camion rempli de cosses... On peut ainsi comprendre le film de Kaufman non plus comme un remake, mais comme une suite du film de Don Siegel.


Le même McCarthy, 22 ans plus tard, dans la même situation...

La vision de Kaufman est évidemment effrayante : dans une grande ville, plus encore que dans un petit bourg où tout le monde se connaît, la roue de l’habitude tend à transformer les humains en enveloppes vides, superficielles et mécaniques, qui abattent leur métro-boulot-dodo avec la régularité et la froideur d’une horloge. On peut ainsi lire le film comme une terrible charge contre les sociétés modernes, propres sur elles, impeccablement technocratisées (la culture et la gestion des cosses étant très abouties) mais où tout affect et tout rapport humain – c’est-à-dire, en réalité, tout ce qui fait la substance de l’humanité  ont disparu. Le personnage de Kibner le dit très bien : dans ce monde, il n’y a plus ni haine, ni amour. Dès lors il n’y a plus rien d’humain. Le fin du fin étant que, pour tenter de survivre en ne se faisant pas remarquer, il faut cacher ses émotions.
Le film s’achève sur une image finale extraordinaire et effrayante, et qui répond parfaitement au fameux « you’r the next! » du film de Don Siegel.



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(1) : Don Siegel qui honore le film de sa présence au travers d’un petit rôle, en chauffeur de taxi « remplacé ».


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