mardi 13 juin 2017

L'impact des images sur le cerveau du spectateur



Même si ce blog se veut concentré sur le cinéma, il n’est pas inutile, pour comprendre l’impact des images sur le cerveau, d’élargir le débat et de se tourner vers l’impact des images en général et celles de la télévision en particulier.
En effet, les chiffres parlent d’eux-mêmes, les français regardent la télévision plusieurs heures par jour en moyenne et, même, regardent la télévision de plus en plus (penser que l’arrivée d’internet, des tablettes ou des smartphones ait pu faire baisser le temps passé devant la télé est une erreur : l’un n’empêche pas l’autre). Les moyennes sont à peu près celles-ci (1) : les enfants de 4 à 6 ans passent environ 2 h 30 par jour devant la télé, les enfants de 7 à 10 ans environ 3 h et, de 11 à 14 ans, environ 3 h 30. Comme il s’agit d’une moyenne on imagine sans peine les proportions que cela peut prendre chez certains d’entre eux (6-8 h par jour).
Les chercheurs sont unanimes : la télévision a des influences terribles sur le développement du cerveau humain. On sait, par exemple, que la relation de causalité entre le temps passé devant la télévision pour un enfant et ses performances scolaires est nette, ou encore que l’arrivée massive de la télévision dans les foyers américains a entraîné une baisse importante des résultats aux examens nationaux. Tout cela est aujourd’hui parfaitement documenté et fait consensus.
Pour comprendre l’impact de la télévision sur le cerveau, il faut distinguer deux périodes principales : avant 6 ans et à partir de 6 ans.


         1. L’impact de la télévision avant 6 ans

On le sait, c’est avant 6 ans que l’effet de la télévision est le plus nocif. C’est la télévision en tant que telle qui est nocive et cela n’a rien à voir avec la nature ou la qualité des programmes suivis.
En effet, à cet âge, le cerveau de l’enfant ne fait pas la différence entre ce qui est artistique et ce qui ne l’est pas, ou ce qui est éducatif et ce qui ne l’est pas. Que l’on colle son oreille à des baffles qui proposent une musique beaucoup trop forte, l’effet sera identique qu’il s’agisse du plus bel opéra ou de la pire musique techno : les cellules auditives seront détruites de la même façon.
C’est ainsi que les chaînes pour enfants font leurs ravages : les parents pensant peut-être les programmes adaptés n’hésitent pas à les laisser plus longtemps face à l’écran.

Avant 6 ans, alors que l’enfant est dans une période décisive du développement de son cerveau, la télévision a plusieurs effets qui s'avèrent dévastateurs dans des domaines aussi importants que l'acquisition du langage ou encore sur la capacité à se concentrer et rester attentif.
Nous nous proposons de développer ce second exemple, en commençant par rappeler qu'il existe deux formes d’attention dont est capable le cerveau : l’attention captive et l’attention dirigée.
L’attention captive a lieu lorsque quelque chose attire notre attention (un bruit fort, un flash de lumière). On comprend très bien l’intérêt de cette capacité du cerveau : que des bruits ou des lumières brusques attirent l'attention est vital pour pouvoir réagir rapidement en cas de dangers. Le problème est que la télévision est un concentré permanent de tels stimuli destinés à capter l’attention. Les émissions diverses, bandes sonores ou publicités sont construites autour de cette volonté de capter sans cesse l’attention du spectateur. Or le cerveau n’est pas destiné à être stimulé de cette façon en permanence. On comprend bien que cette réactivité cérébrale est conçue comme ponctuelle (pour réagir à un danger par exemple) et qu’une stimulation continue du cerveau l’épuise complètement. Un enfant qui reste scotché devant la télévision n’est pas concentré, il est en fait captif de la télé, ce qui est complètement différent en matière de fonctionnement du cerveau. Cela peut leurrer les parents, qui pensent que leur enfant est capable de rester concentré longtemps sans bouger, mais c’est une erreur : il est simplement captif pendant de longues heures, ce qui épuise totalement son cerveau.

L’attention dirigée, tout au contraire, est celle qui permet de filtrer les stimulations externes, d’en faire le tri, pour réussir à rester concentré sur une tâche. Par exemple c’est ne pas être distrait par des bruits aux alentours lorsqu’on lit ou, en classe, ne pas s’occuper du bruit de ses camarades ou ne pas se retourner au moindre stylo qui tombe pour rester concentré sur un travail à faire. Et cette attention est absolument primordiale pour l’intelligence : elle est la colonne vertébrale autour de laquelle toute la mise en œuvre de la pensée fonctionne. Si l’on n’est pas capable de diriger son attention, on n’est pas capable de réfléchir à un problème et, ce faisant, pas capable de construire la moindre réflexion.
Or cette attention dirigée n’est pas héréditaire ou congénitale : elle est le résultat d’un apprentissage. Et l’on comprend aisément que ces deux attentions sont contradictoires. Sur un cerveau pas encore formé – et donc pas encore capable de discriminer – la télévision a un rôle terrible en empêchant l’enfant de développer une capacité à diriger son attention.
On voit très bien cet effet néfaste et happant de la télévision lorsque l’on tente de lire dans une pièce où la télé est allumée : cette façon dont le média télévisuel fait irruption dans la pièce tend à interrompre sans cesse la lecture, même sur un cerveau formé et entraîné. Sur un bébé, la télévision, en captant sans cesse l’attention, empêche le cerveau de faire ses propres constructions, de se créer un monde dans son parc à jouets, de se concentrer sur tel ou tel objet, d’imaginer des scénarios avec ses jouets, etc. Et cela même si la télévision n’est pas allumée pour l’enfant et même si l’enfant n’est pas planté devant elle. La capacité de la télé à aller chercher l’attention de l’enfant est dévastatrice. Le cerveau, lessivé, ne peut donc développer tout son potentiel, obnubilé par cette irruption permanente de stimuli qui l’accaparent et l’épuisent.
On peut illustrer ce désastre par le fameux test du bonhomme et ses résultats effrayants. On demande à un enfant de 5 ans de dessiner un bonhomme et l'on compare les dessins obtenus. On constate que, selon le temps passé par l'enfant devant la télé (à conditions sociales équivalentes), les résultats sont tout à fait différents et parlent d'eux-mêmes.

Le test du bonhomme, d'après P. Wintersein et al.

Ce qui est dit de la télévision s’étend, bien entendu et pour les mêmes raisons, aux autres écrans, depuis les consoles de jeux jusqu’aux téléphones portables. Les ravages du téléphone portable ou des tablettes viennent en plus de ce que l’on emmène avec soi cet engin décérébrant.
Ôtez à un enfant gavé de télévision le moindre écran et le manque surgira : le cerveau, qui n’est pas habitué à aller vers les choses (avec la télé ce sont les stimuli qui l’attirent) est incapable de la moindre concentration et, donc, de la moindre activité intellectuelle complexe. Et, après 6 ans, si l’on ne sait pas diriger son attention, le cerveau aura bien du mal à l’apprendre.


         2. L’impact de la télévision après 6 ans

On l’a compris, avant 6 ans le contenu importe peu, c’est le principe même de la télévision qui est néfaste. Bien entendu les mêmes causes produisant les mêmes effets, sur des adolescents, les ravages se poursuivent.
Mais ensuite, y compris sur un cerveau bien structuré à qui on aura épargné la télévision trop jeune, le contenu des programmes suivis a évidemment son importance. Sur des grands thèmes comme la violence, la représentation du sexe ou le tabac, la profusion d’images vient modifier les perceptions et bouleverser le fonctionnement de certaines zones cérébrales.

Il faut bien garder à l’esprit la très grande plasticité neuronale : c’est-à-dire que le cerveau se modifie en fonction de ce que l’on en fait et les différentes zones cérébrales sont plus ou moins développées selon l’activité que l’on a. On sait qu’une personne aveugle voit son cortex visuel se réduire et son aire auditive se développer.
On sait aussi que l’occurrence d’images violentes à la télévision (depuis de simples disputes jusqu’aux images les plus sanglantes) est colossale (60 % des émissions de télé contiennent des actes de violence). Des expériences simples permettent de montrer les effets à court terme de cette omniprésence de violence à la télé : des personnes qui regardent beaucoup d’images violentes seront plus agressives que la moyenne (cela se mesure par exemple en constatant le nombre de fautes dans un match après que l’on a fait regarder aux joueurs tel ou tel film). Les effets à long terme sont aussi très nets et bien documentés. Et cela s’explique par l’impact de ces images sur le développement du cerveau : on observe chez ces personnes une réduction d’une zone située dans le cortex orbito-frontal qui a un rôle régulateur du comportement. Par habituation cette zone s’inhibe et joue de moins en moins son rôle de régulateur du passage à l'acte.
Si la télévision a un impact sur le développement du cerveau, elle a donc aussi un impact sur son fonctionnement.  Quand on dit que la télévision lobotomise, on ne croit pas si bien dire.

L’effet peut être parfois plus pervers et moins visible, mais tout aussi efficace. Cela se voit pour la représentation du tabac dans les films. Un film comme Mud, très bon par ailleurs, véhicule sans le dire une image de la cigarette très positive. Le personnage de Mud est sans cesse associé au tabac : il sort de la poche de sa chemise un vieux paquet de cigarettes et reste longtemps la cigarette à la bouche.


De même Le Cercle des poètes disparus, qui véhicule une image discrète mais transgressive de la cigarette. Et c’est la multiplicité des occurrences qui fait son œuvre : dans une multitude de films, la cigarette est montrée sous un jour favorable (et jamais à travers des connotations négatives) que le cerveau, au fur et à mesure, enregistre.

Difficile alors de ne pas aborder l’effet terrible des publicités et leur efficacité  redoutable. Pour le comprendre il faut admettre que le cerveau ne fonctionne pas comme nous (2) : il est une éponge qui absorbe tout ce que les organes sensoriels lui amènent et il fait ensuite ses propres associations avec toutes ces informations.
Si l’on regarde Roland Garros, que ce soit sans grand intérêt ou de façon passionnée, notre cerveau enregistrera (même si l’on n’y prend pas garde) les images publicitaires présentes à l’écran pendant le match (Lacoste, Perrier, BNP, etc.) sans que le match y fasse allusion et sans que les commentateurs en parlent

Pendant que vous suivez le match, le cerveau, de son côté,
 enregistre toutes les pubs qui parsèment l'écran.

Le cerveau, ensuite, suit son bonhomme de chemin et, par exemple, associe ces logos et ces slogans avec le plaisir du tennis. Et le tour est joué : il est en effet impossible d’échapper à ces associations d’idées que le cerveau fera de son côté quand, par hasard, il recroisera ces marques dans la vie de tous les jours.
Quand on demande de comparer à l'aveugle le goût de différentes frites mais que certaines sont posées sur une assiette floquée du sigle de McDonald’s, lorsque ces frites sont goûtées ce n’est pas la zone du goût qui s’active (quand bien même on demande notre avis sur le goût) mais la zone de la mémoire visuelle. La publicité influence donc la façon de fonctionner de notre cerveau.
Bien entendu, sur ce point, le cinéma n’est pas en reste. Les marques l’ont bien compris : depuis Audrey Hepburn et ses sacs à main Vuitton, jusqu’à Will Smith dans I, Robot, on ne compte plus la mise en avant de telle ou telle marque qui est associée à un acteur populaire ou à un personnage charismatique.


Audrey Hepburn et son sac à main Vuitton
dans Voyage à deux de S. Donen
Will Smtih et ses Converse
dans I, Robot de A. Proyas


Et nous n’insistons pas, ici, sur l’impact des médias lorsqu'ils ressassent sans cesse la même chose – sur les chaînes d’info en continu par exemple – ce qui accapare l’esprit et enfonce dans le crâne sans difficulté des prêt-à-penser. Tout cela se comprend aisément quand on s’attarde sur le fonctionnement du cerveau.


Le film Idiocracy donne une idée (quand bien même ce film est médiocre) de ce que peut provoquer la décérébration des personnes addictes à la télévision. Tout l’aspect effrayant du film est d’ailleurs dans cette lobotomie généralisée, image d’un futur que l’on sent parfois déjà percer.
La télévision a donc une influence énorme et délétère sur le développement du cerveau et si la télévision est plus néfaste encore que le cinéma, c’est simplement que la dose administrée est rarement la même : sauf pour quelques cinémaniaques, chacun ne regarde quand même pas, en moyenne, deux ou trois films par jour. Or, en ce domaine plus encore que dans bien d’autres, c’est la dose qui fait le poison.



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(1) : Pour les enfants de 8-18 ans, la moyenne, en France, d'exposition aux écrans (tout écran compris, c'est-à-dire télé + téléphone + tablette + jeux vidéos), est de 7 heures par jour !

(2) : Belle formule du neurologue M. Desmurget. On trouvera davantage de détails et d'exemples sur ce sujet de l'impact de la télévision sur le cerveau dans son ouvrage TV-Lobotomie.

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