samedi 29 avril 2017

Deux jours, une nuit (J.- P. et L. Dardenne, 2014)




Film intéressant des frères Dardenne mais qui souffre de deux tares qui l’empêchent de happer le spectateur et de l’entraîner vers l’émotion  et l’empathie recherchées.
Le premier problème du film est qu’il s’appuie sur un cas de licenciement extrême. En effet, l’alternative proposée dans le film (à chaque employé il est demandé de choisir entre recevoir une prime importante ou garder une collègue de travail) est tout à fait hors du commun. On est très loin d’un cas banal. Et, comme tout raisonnement basé sur un cas extrême, le parcours de Sandra, qui a tout du chemin de croix, perd terriblement en crédibilité parce que son ressort est outrancier et, par là même, artificiel et peu crédible.
On retrouve une difficulté récurrente des films (français notamment) à amener un regard social qui ne soit pas caricatural ou qui n’amène pas à des choix caricaturaux : ici elle oppose la prime individuelle et le licenciement. Au ressort de l’humiliation dans La Loi du marché de S. Brizé, succède donc celui du cas de conscience (la prime ou la solidarité ?) porté à un point intenable (Sandra vient supplier ses collègues de voter pour elle, contre leur prime). Le film s’applique à montrer que de nombreux collègues aimeraient aider Sandra mais ne peuvent se permettre de se passer de la prime. Ils ne sont pas condamnés moralement, à l’inverse des patrons, qui, d’une façon tout à fait habituelle, systématique et évidente, sont les vrais salauds du film.
Le second problème est que le grand souci de réalisme des frères Dardenne est mis à mal par le choix de Marion Cotillard. Non pas qu’elle joue mal (une fois n’est pas coutume : elle est très bien) mais parce qu’une star n’est pas du tout appropriée pour ce type de film, qui prétend nous immerger dans le réalisme et multiplie pour cela les acteurs inconnus et non professionnels. On ne voit pas réellement Sandra, son personnage, mais on voit Marion Cotillard qui interprète très bien Sandra. C’est comme le choix de Bourvil dans Les Misérables : quelles que soient les qualités de l’acteur, on ne voit pas Thénardier, on voit Bourvil interpréter remarquablement Thénardier (de même Gabin pour Jean Valjean). Et, plus encore, la star fait ici irruption dans un univers de petites gens, prolétaires. On ne saurait trop souligner l’incongruité de voir Marion Cotillard, star cotée à Hollywood et qui tourne dans des blockbusters aux côtés de réalisateurs prestigieux, jouer à la femme ouvrière dépressive : l’incarnation n’est pas possible (1). Cette impossible oubli de l’acteur derrière son personnage est un piège (facile) à éviter et dans lequel les frères Dardenne ne tombent pas habituellement.



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(1) : On retrouve exactement le même problème dans La Loi du marché où Vincent Lindon, affublé pour l’occasion d’une moustache prolétaire (dont on sait, puisque l’on connaît l’acteur, qu’elle est un accessoire de maquillage), « joue » au chômeur dans un film qui cherche à être un témoignage réaliste.

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