mardi 19 avril 2016

Alabama Monroe (The Broken Circle Breakdown de F. Van Groeningen, 2013)




Le cinéma peut servir à rêver et à vivre par procuration une vie trépidante pendant deux heures (on est James Bond le temps d’un film). Il peut aussi servir à nous changer les idées, à nous proposer un autre regard sur le monde ou encore à nous questionner. Ou un peu tout à la fois. C’est le lot de la plupart des films.

Il peut aussi servir à exorciser et à affronter les peurs : on vient éprouver devant le film ce qu’on redoute d’éprouver pour de vrai. C’est le même mécanisme que pour les enfants qui aiment affronter leurs peurs dans les contes.
Alabama Monroe a ce rôle de catharsis, en jouant sur les peurs et les émotions les plus fortes. Parce que l’idée n’est pas de réfléchir aux désastres d’un décès dans une famille (comme dans L’Incompris), l’idée n’est pas de réfléchir à comment se remettre à vivre après un tel deuil (comme dans La Chambre du fils). L’idée est de tenir au maximum le spectateur en orchestrant une déferlante d’émotion.

La comparaison avec d’autres films très similaires s’impose. Prenons La Guerre est déclarée de V. Donzelli, très proche d’Alabama Monroe, et qui permet de bien comprendre l’outrance du film de Van Groeningen.
Dans les deux cas nous avons un jeune couple dont le bébé a un cancer très dur : on voit le couple encaisser la nouvelle et progressivement éclater en mille morceaux.
Dans La Guerre est déclarée tout est contenu, il ne s’agit pas de l’étalage d’une souffrance tire-larmes mais d’une narration volontairement sur la retenue, vu la lourdeur du sujet abordé. Un jeune couple a un enfant, ils découvrent qu’il a un cancer. C’est dramatiquement simple, c’est une boule d’émotion.
Alabama Monroe prend le contre-pied : tout est excessif. Ce n’est plus un jeune couple parmi d’autres, c’est un couple hyper-passionné, qui mort la vie à pleine dents, dans un fantasme de vie : lui est un peu cowboy et vit dans une caravane, elle fait des tatouages, ils font l’amour dans leur voiture, ils se construisent une maison du bonheur, ils vivent de musique folk. « C’est beau la vie ! » nous dit le film en en rajoutant des tas. Ils sont super sympathiques, super gais, ils rient tout le temps. Et c’est là qu’arrive le drame.

Comme Van Groeningen prévoit de mettre les bouchées doubles, il brise la chronologie. Mais il n’a pas vraiment le choix : sans montage son film serait insoutenable. En alternant les moments comme il le fait (un moment dur à l’hôpital alterne avec un moment de la vie du couple) il tient le spectateur et fait passer n’importe quelle pilule, en particulier et surtout les plus chargées émotionnellement : la mort d’un enfant puis le suicide du conjoint. Car le scénario n’a peur de rien : il ne suffit pas de voir l’enfant mourir et le couple exploser, il rajoute le suicide de la jeune mère. Et cela ne suffit pas : il faut que le mari la débranche et chante avec son groupe musical, dans sa chambre d’hôpital, pendant qu’elle part. Rien que de le dire on saisit l’outrance.
Mais le film parvient à faire passer cette déferlante grossière d’émotion car, entre chaque cuillère tragique, il y a un « beau moment de vie ». Le but de la manœuvre est donc non pas de nous raconter une histoire dure et touchante, mais d’aller le plus loin possible dans la charge émotionnelle.
Aux moments en couple, qui se veulent frais, musicaux, plein de camaraderie (ça compte les copains dans la douleur), succède donc une scène d’ambulance hurlante et de mari en pleurs ; à l’enfant qui vient sautiller sur le lit de ses parents succède donc un soin médical avec le même enfant rasé et branché de partout.
Bien sûr cela marche : le spectateur, comme pris en otage par la construction tout en excès du film, est convié à pleurer tant et plus, jusqu’à des scènes insoutenables de tristesse.
Ce procédé rappelle Irréversible, qui, dans un tout autre style et sur un tout autre thème, usait lui aussi d'un artifice de montage pour faire supporter des images très violentes.

En réalité – et Van Groeningen semble l’ignorer – il en est des films douloureux comme des thrillers : il faut savoir suggérer sans trop montrer. Qu'on se souvienne cette réflexion de G. Deleuze« Quand la violence n'est plus celle de l'image et de ses vibrations, mais celle du représenté, on tombe dans un arbitraire sanguinolent, quand la grandeur n’est plus celle de la composition, mais un pur et simple gonflement du représenté, il n'y a plus d'excitation cérébrale ou de naissance de la pensée. C’est plutôt une déficience généralisée chez l'auteur et les spectateurs. »
Les tristesses les plus dures sont dans un regard perdu, dans un visage qui cherche à se contenir, bien plus que dans des crises de larme. Qu’on se souvienne d’Andrea, dans L’Incompris, qui, du haut de ses dix ans, doit faire bonne figure devant son jeune frère qui ignore la mort de leur mère.
Mais, avec La Chambre du fils de N. Moretti, La Guerre est déclarée de V. Donzelli ou encore Le Petit prince a dit de C. Pascal, il ne manque pas de films pour aborder avec retenue et émotion ce thème très difficile de la maladie d’un enfant.

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