vendredi 20 novembre 2015

Le spectateur et l'identification



A proprement parler, on distingue une identification primaire et une identification secondaire.

L'identification primaire correspond au dispositif cinématographique lui-même, c'est-à-dire le contrat qui lie le spectateur au film : on accepte que la caméra soit notre œil et de voir la scène à travers la caméra. Il s’agit donc de l’identification avec le regard de la caméra, incontournable dès lors que l’on est assis devant un écran.


L’identification secondaire correspond à l’identification du spectateur pour tel ou tel personnage. Elle correspond aux affects ou à l’empathie que l’on peut ressentir envers tel ou tel personnage (lorsque l’on prend pour soi ce qui arrive aux autres). Elle est donc plus fluctuante et dépend du rapport de chaque spectateur avec la fiction proposée.
Néanmoins, certains éléments ont tendance à entraîner une identification. Ces éléments tiennent aux personnages, bien entendu, mais aussi aux situations rencontrées par ces personnages (par exemple, dans un film à énigme, on s’identifiera à la personne qui cherche la clef de cette énigme – ou qui cherche l’assassin – et qui est une figure déléguée du spectateur dans la fiction).

Cette identification est aisée et flirte avec l’objectivité dans le cas des films où le héros est indubitablement positif, charmeur ou insubmersible (disons de La Mort aux trousses aux films de superhéros). De même pour tous les films peuplés de personnages qui sont des stéréotypes facilement identifiables (le gentil, le courageux, l'intègre ; d’autant plus s’ils sont opposés à un salaud, un cynique, etc.).

Dans La Mort aux trousses, le spectateur s’identifie à Thornhill à la fois parce qu’il est le héros du film, parce qu'il est un homme ordinaire, parce qu'il est charmeur, décontracté, élégant et parce qu'il est interprété par Cary Grant.
La présence de la star est importante : Hitchcock l’a très bien dit, le spectateur se soucie davantage du sort d’une vedette que de celui d’un inconnu : « Je suis pour la vedette. Si vous placez une inconnue sur des rails, quand le train arrive, le public dira : tiens cette femme va être écrasée. Si vous placez une vedette bien connue dans la même situation, le public hurlera : c'est atroce ! arrêtez ce train ! sauvez-là ! faites quelque chose! Dans Fenêtre sur cour, Grace Kelly pénètre dans la chambre du tueur et fouille dans les tiroirs. On montre le propriétaire de la chambre qui monte l'escalier. Puis on revient à l'héroïne qui fouille et le public a envie de dire : fais attention : quelqu'un monte ! Si l'héroïne est sympathique, alors l'émotion est doublée. »
On le voit, l’identification peut être dirigée par le metteur en scène qui peut jouer avec le spectateur. Hitchcock, qui se vantait de pouvoir faire de la « direction de spectateur », l’avait très bien compris et il manipule à tout va dans ses films. On tient là le traquenard de Psychose : dans la première partie du film, Hitchcock centre complètement l'action sur Marion avant de la tuer brutalement. Le spectateur est alors complètement désarçonné : à qui se raccrocher ? Et quand Hitchcock remet en piste un second personnage (Arbogast) à travers lequel on suit l’enquête, il le tue à son tour tout aussi violemment.

On remarquera d'ailleurs que, lorsqu’un personnage est en position centrale dans le film, il sera difficile pour le spectateur de ne pas s’identifier à lui, quand bien même le personnage n’est pas sympathique. C’est le cas dans L’ombre d’un doute, où l’oncle Charlie (Joseph Cotten) est un tueur de veuves ; ou encore dans Elle, où Michèle (Isabelle Huppert) est égoïste, méchante, jalouse, brutale, etc.


Mais les choses peuvent être plus complexes qu’il n’y paraît lorsque le film propose des personnages multiples ou qui ne sont pas stéréotypés ou si facilement catalogués.
D’une part il semble bien qu’on ne s’identifie pas à un personnage parce qu’on le trouve sympathique mais, bien au contraire, c’est parce qu’on s’identifie à lui qu’on le trouve sympathique. Il y a là une inversion fine du rapport de cause à effet qui peut échapper de prime abord. Mais cela montre que l’identification ne se fait pas forcément vers quelqu’un de sympathique. On sait d’ailleurs que l’on peut s’identifier et prendre fait et cause pour un personnage que, dans la réalité, on détesterait ou qui serait infréquentable.
D’autre part, pendant la projection, le spectateur « cherche » à s’identifier à un personnage. Et c’est ainsi que le spectateur, bien souvent, s’identifie tour à tour à différents personnages, pour de multiples raisons. L’identification « tourne », au cours du film, s’accrochant successivement à tel ou tel personnage, pour des raisons intimes et pas forcément bien définies. Ce peut être pour une manière de parler, pour un regard, pour une dégaine générale. On sait que le regard battu de Bogart avait ses fans, ou que le bad guy a ses aficionados.

Dernière remarque : on peut revoir un film et ne pas s’identifier aux mêmes personnages que précédemment. Le cas du Cercle des poètes disparus est éclairant : outre le fait qu’il est un film qui propose plusieurs personnages adolescents auxquels on peut s'identifier,  si on voit le film à l’adolescence et qu’on le revoit ensuite à l’âge adulte, on peut se sentir plus proche d’un adolescent pour lequel on n'avait pas eu une grande empathie à la première vision. Il est alors très intéressant de réfléchir à ce « changement » de personnage et de le mettre en regard de notre propre personnalité, à nous spectateur.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire