Film dur et âpre, avec plusieurs
scènes chocs qui laissent un grand malaise, Délivrance présente
la grande originalité d'être une ode, non pas à la Nature, mais bien plus à la
civilisation.
En faisant descendre une rivière par un groupe d'amis – ce qui
devait être pour eux un dernier hommage à la région avant qu'elle ne disparaisse sous
un lac de barrage – Boorman les confronte à la Nature, mais non pas la jolie
nature, fraîche et verte, celle du paradis perdu, mais la Nature sauvage,
vierge de la civilisation. Vierge de civilisation mais pas d'hommes : les
autochtones – non civilisés, à demi-débiles – sont un des grands dangers de cette Nature, et vont réduire en
bouillie les belles croyances des quatre amis.
L'aventure est alors une succession d'épreuves terribles qui laissent des plaies épouvantables aux survivants, depuis la séquence du viol
jusqu'aux meurtres et l'abandon du corps de leur ami, le tout dans une
incertitude totale : le paysan tué est-il bien celui qui les a
agressés ?, comment est mort Drew ?
Le propos du film s'inscrit dans une vision très sévère du mythe de la Frontière. En effet les quatre
citadins s’immergent dans une forêt proche de la Frontière puritaine,
celle des premiers colons : ils y découvrent l’hostilité naturelle de
l’environnement à laquelle se rajoute la violence des autochtones. Ces autochtones
représentent non pas des Indiens, mais des héritiers de premiers colons,
oubliés, dégénérés, redevenus sauvages dans cette wilderness. Il survit donc, nous dit Boorman, au cœur de
l’Amérique, des territoires peuplés de dégénérés issus de cette confrontation
violente à la Frontière.
Le mythe de la Frontière, qui promettait une
régénération par la violence, prend alors du plomb dans l’aile : la
violence est une animalité et des quatre citadins aucun ne sortira régénéré ni
même intact (l’un meurt, l’autre perd sa jambe, le troisième sa dignité et le
quatrième est devenu un meurtrier). Delivrance
revisite donc le mythe créateur et unificateur de l’Amérique – qui énonce que
l’Amérique s’est faite en civilisant une terre sauvage – pour en prendre le
contre-pied.
Si le film est à
l’origine de nombreux films survivalistes, il irrigue aussi, par cette présence
au cœur de l’Amérique d’une frange sauvage peuplée de dégénérés tout un cinéma
d’horreur qui fera florès (Massacre à la tronçonneuse, La Dernière maison sur
la gauche, etc.). Boorman est très clair : le lac de
barrage va tout engloutir, cette Nature terrible va disparaître et on ne la regrettera pas. La
civilisation va passer par-dessus et c'est un bien pour l'homme. Voilà une position qui ne manque pas de faire réfléchir et conduit plus loin que les habituelles idées rousseauistes qui dominent.
Remarquons que Boorman prendra le parti de la Nature dans La Forêt d'Emeraude, et fera détruire par le personnage principal le barrage qui menaçait la forêt et ses habitants. Mais ce film est bien mou et insignifiant par rapport à Délivrance.
Dans Pulp Fiction le viol de Marcellus est une citation directe à Delivrance et la réaction de Marcellus (la « torture moyenâgeuse ») en appelle à la sauvagerie pour combattre la sauvagerie. Réaction que développera Tarantino dans Django Unchained.
Dans Pulp Fiction le viol de Marcellus est une citation directe à Delivrance et la réaction de Marcellus (la « torture moyenâgeuse ») en appelle à la sauvagerie pour combattre la sauvagerie. Réaction que développera Tarantino dans Django Unchained.
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