jeudi 16 octobre 2014

La Maman et la putain (J. Eustache, 1973)




Incroyable film qui apparaît comme une longue discussion sur la souffrance amoureuse, sur la recherche de l’équilibre amoureux et sur les jeux de faux semblants qui y sont liés.
La Maman et la putain est absolument typique de la Nouvelle Vague, par ses thèmes (on ne sort pas des quartiers et des préoccupations de la petite bourgeoisie de jeunes adultes), par ses acteurs (Léaud évidemment) par son ton détaché qui rompt avec celui des quinquagénaires d’alors, par sa forme (exit les studios et autre montage bien léché).
Le film est ainsi le reflet absolu de son époque, dans un lieu précis – Saint-Germain-des-Prés –, où la jeune bourgeoisie oisive glose sans fin, sur la philosophie, sur l’art, sur le communisme, etc. Et, bien entendu, c’est là le cœur du film, il se centre sur la liberté sexuelle, alors que les fracas de mai 68 sont encore tout proches. Et le « jouissez sans entrave ! » propre à la période semble tout à coup plus complexe que prévu. Difficile d’être de son temps, difficile de se détacher si aisément des affects et des tourments. Et voilà toute l’histoire : Alexandre s’interroge, souffre, cherche à se détacher mais n’y parvient pas.
On note plusieurs échos à La Recherche du temps perdu (explicitement cité dans le film) jusque dans son format (3h40 de film, qui sont comme un parallèle aux milliers de pages de La Recherche).


Jean Eustache s’épargne le passage par les formes habituelles du récit et de la dramatisation qui y est associée : il explique que « La Maman et la putain est le récit de certains faits d'apparence anodine, la description du cours normal des événements sans le raccourci schématique de la dramatisation cinématographique» Il recherche ainsi une forme de vérité en ne coupant pas les temps morts, en laissant le temps diégétique s'imposer par de longues scènes où il refuse les ellipses sur le banal. Dès lors le banal semble au cœur du film. Que d’oisiveté dans ce film, où l’on parle sans fin, dans une chambre ou au café, à discuter de quel verre d’alcool on va prendre, à fumer lentement une cigarette ! Eustache épuise la scène en allant au bout de la représentation : il cherche à parvenir à une forme de vérité, malgré la forme cinématographique. D’où de longs monologues, d’où des digressions sans fin (mais pas sans but), d’où le ton improbable des acteurs. Ici l’incroyable ton de fausse « naturelleté » de Jean-Pierre Léaud, qu’il adopte depuis ses tout débuts, fait merveille. De même Françoise Lebrun qui parle jusqu’à en pleurer, jusqu’à en vomir (au sens propre comme au figuré : c’est sur cette éructation ultime que Eustache achève son film).
On tient là un film exceptionnel, reflet d’une période cinématographique (la Nouvelle Vague française) et borne incontournable du cinéma mondial.


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