dimanche 16 février 2014

La Grande illusion (J. Renoir, 1937)




Très grand film de Renoir, La Grande illusion éblouit par l’émotion qui se dégage autour d’un propos de plus en plus dramatique et fascine par sa construction qui propose, au fur et à mesure du film, de resserrer sans cesse davantage l’intrigue, avec de moins en moins de personnages, jusqu’à deux petites silhouettes perdues dans la neige.



Comme à son habitude, Renoir construit un film esthétique, d’une maîtrise totale, qu’il s’agisse de mouvements de caméra complexes et profonds pour peindre des mouvements avec de nombreux personnages, ou dans les moments intimes de la dernière partie.
L’interprétation est exceptionnelle (Renoir est entouré d’acteurs fabuleux) et les personnages sont devenus légendaires, depuis Rauffenstein jusqu’à Maréchal en passant par de Boëldieu.

L’histoire passionnante est d’abord un récit de guerre (mais sans combat : ce sont les personnages et ce qu’ils représentent qui intéressent Renoir) avec l’épisode dans le camp de prisonniers où Maréchal et ses compagnons tentent de s’enfuir. Renoir peint avec sa virtuosité, sa verve et sa truculence habituelles la vie dans le camp, émaillée de rires ou de moments sombres, de moments insolites et d’autres graves.



Puis l’intrigue se resserre et gagne en dramaturgie dans la forteresse allemande. Renoir insiste alors sur une solidarité de classe, qui transcende les nationalités (même en temps de guerre) : de Boëldieu est plus proche de Rauffenstein, le commandant ennemi, que de Maréchal, son officier en second. Mais cette solidarité est elle-même dépassée par la dignité, le sens du devoir : de Boëldieu se sacrifie sans coup férir pour ses hommes et Rauffenstein accomplit lui aussi son devoir.
Dans la troisième partie, consécutive à l’évasion, il ne reste que Maréchal et Rosenthal, le juif, qui seront recueillis par la jeune Allemande. Le ton dramatique est relevé par l’idylle naissante entre Maréchal et Elsa.



Renoir, comme souvent, a un raisonnement de classes et il part d’une vision humaniste construite en idéalisant chaque personnage dans une vision un peu rousseauiste, les faisant correspondre à un type (l’aristocrate, le prolétaire, le juif, etc.), mais sans que les traits ne paraissent trop forcés, et chacun, à sa façon traverse la guerre avec sa dignité, sa fierté, son humanité. La guerre est d’ailleurs présentée comme le moment où les classes sont rassemblées et mélangées (avec cette réflexion clef : « chacun mourrait de sa maladie de classe s’il n’y avait la guerre pour réunir tous les microbes »). Le Mal semble étranger à cette guerre, comme si elle se faisait malgré les hommes. Le film suggère que la classe aristocratique (Rauffenstein et de Boëldieu), lorsqu’elle aura disparu (et on la voit mourante), il ne restera personne pour faire la guerre. Et pourtant, si Renoir pense qu’une solidarité supranationale peut engendrer la paix ou l’harmonie (la complicité des officiers autant que la relation entre le prolétaire Maréchal et Elsa le montrent), il ne se fait pas d’illusion (le titre recouvrant ainsi le film d’une clairvoyance fondamentale) : le pacifisme universel qui se dégage du film est teinté d’une amertume lucide.

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