samedi 22 juin 2013

Les Chasses du comte Zaroff (The Most Dangerous Game de E. B. Schoedsack, 1933)




Même s’il est assez peu connu (bien moins que King-Kong, du même réalisateur, sorti la même année et auquel sa réalisation est associée), Les Chasses du comte Zaroff (dont le titre était initialement au singulier) constitue une référence incontournable sur le thème de l’aventure qui confine à l’épouvante. Le thème est en effet terrible et fascinant : la chasse à l’homme par l’homme (et non par quelques monstres) a aussitôt des relents mythologiques et touche au tréfonds de chacun.
Le film est tourné en parallèle de King-Kong, grand projet de la RKO à l’époque, et il ne dispose que de petits crédits, le destinant à n’être qu’une œuvre de second rang. Mais le bon sens industriel des studios incite à profiter des techniciens et des décors (et même d’acteurs communs), tout cela sous la houlette de Selznick et Schoedsack qui sont à la baguette des deux projets.
Le film, qui démarre comme un film d’aventures, flirte ensuite avec l’épouvante. C’est qu’il  relaie des images propres à marquer les esprits (et le réalisateur le sait parfaitement) à coups de décor gothique et inquiétant, avec de vastes escaliers décorés de fresques terribles et avec ce qu’il faut de crânes et d’allusions qui font redouter le pire. Et ce sont des images enfouies de l’enfance qui surgissent, celles des contes, alors que la jungle, luxuriante, malsaine, faite de marais, de lianes, de brume et de pestilence, évoque la littérature d’aventures, de Jules Verne au Monde perdu en passant par les îles des pirates. L’immersion des personnages (et du spectateur avec eux) est très réussie et cette force de frappe visuelle fonctionne parfaitement.
Le rôle du comte Zaroff, essentiel, est très bien tenu : on sait qu’un tel film doit avoir un méchant très méchant. Et avec son port aristocratique, ses manières civilisées, Zaroff est terriblement inquiétant. Il laisse le soin à son domestique d’être un colosse terrifiant alors qu'il exprime en réalité le mal ultime, le plus terrifiant. Mais le personnage est complexe et reflète la société humaine : il se pose comme étant au sommet de la civilisation (sa demeure massive est placée au milieu d’une jungle sauvage) et il représente en même temps les pulsions qui animent l’homme : pulsions de mort, pulsions sexuelles frustrées (ses comparaisons entre chasse et jouissance sexuelle sont explicites).



Et Schoedsack maîtrise parfaitement l’assemblage des décors avec les personnages, on sent l’influence de l’expressionisme dans les noirs et blancs violents et il nous laisse prendre la terrible place du gibier, en voyant le film au travers des yeux de Rainsford. Rainsford : le chasseur qui devient chassé, son arrogance du début et la mise en garde du médecin (« on qualifie de sauvage la bête qui tue pour se nourrir et de civilisé l’homme qui tue pour son plaisir ») contribuant à distiller un premier doute avant que le film n’illustre, on ne peut mieux, combien l’homme est un loup pour l’homme.



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